La Maman et la Putain

Un film de Jean Eustache, Jacques Renard, Jean-Claude Biette et André Téchiné

17 mai 19733h37Comédie Dramatique

Alexandre est un jeune dilettante oisif. Il vit chez Marie, sa maîtresse, et flâne à Saint-Germain-des-Prés. Un jour, il croise Veronika, une jeune infirmière. Il entame une liaison avec elle, sans pour autant quitter Marie...

Un film de Jean Eustache, Jacques Renard, Jean-Claude Biette et André Téchiné
Avec Bernadette Lafont, Jean-Pierre Léaud, Françoise Lebrun, Isabelle Weingarten, Jean-Noël Picq, Jessa Darrieux, Berthe Granval, Geneviève Mnich, Marinka Matuszewski, Jean Douchet, Bernard Eisenschitz, Caroline Loeb, Noël Simsolo et Douchka
Produit par V.M. Productions, Elite Films, Ciné Qua Non, Les Films du Losange et Simar Films
Aujourd'hui, 6 mai 2025
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DEPUIS PRÈS D’UN DEMI-SIÈCLE,
LA MAMAN ET LA PUTAIN HANTE LE CINÉMA

Faisant figure de totem pour les cinéphiles et les cinéastes - français mais pas seulement... Le culte qu’il génère auprès de celles et ceux qui font le cinéma aujourd’hui est international, la liste de ses fans, génération après génération, donne le tournis : cela va de Wim Wenders à Michael Haneke, de Jane Campion à Claire Denis, de Jim Jarmusch à Jacques Audiard, de John Waters à Gaspar Noé, à Noah Baumbach, à Cédric Klapisch, à Guillermo Del Toro…

49 ans après le scandale suscité lors de sa présentation à Cannes en mai 1973 (le film repart avec le Grand Prix spécial du jury et le Prix de la critique internationale), 40 ans depuis la disparition prématurée de Jean Eustache, en novembre 1981, La Maman et la Putain n’en finit pas de nous “parler”. Il était pourtant devenu rare depuis sa sortie, jamais encore restauré. Il n’en a pas moins continué de symboliser quelque chose comme un absolu du cinéma d’auteur, du cinéma de chambre, du cinéma de la rencontre.

Quel que soit l’endroit par lequel on le prenne, il subjugue : sa durée est hors-norme (trois heures quarante), son noir et blanc a quelque chose d’originel et de fantomatique. Son jeu (centré pour l’essentiel autour de trois acteurs : Jean- Pierre Léaud, Françoise Lebrun et Bernadette Lafont) est anticonformiste dans sa façon de refuser le naturalisme sans pour autant se refuser au sentiment. Sa mise en scène épurée, toute entière dans la retenue, retrouve l’assurance magnétique des classiques, ces “fondamentaux” qu’Eustache admirait plus que tout : Renoir, Lubitsch, Guitry, Pagnol, Mizoguchi, Lang, Dreyer, Murnau...

Dans une totale économie de moyens, la mise en scène de Jean Eustache, par un découpage rigoureux, se mettait toute entière à la disposition d’un “texte de feu”, selon les mots de Bernadette Lafont. Texte qui servira de réceptacle à la génération qui a fait mai 68, comme à celles qui lui ont depuis succédé, jusqu’à la nôtre.

Ses interrogations sur le couple, sur la liberté d’aimer sans entrave et sur l’inassumable possession amoureuse, ses mots pris dans la fièvre du discours amoureux, son lyrisme, passant du sublime au ridicule en repassant par le sublime, ont décrit, comme aucun film, l’intime tel qu’il se dit et s’écrit entre deux amants tout au long d’une nuit, ou deux, ou cent. En cela, 50 années ou presque ne l’ont pas fait vieillir : tout au contraire, La Maman et la Putain est le film de ceux qui se posent la question d’avoir à réinventer l’amour. Eustache disait que, de tous ses films, La Maman et la Putain était celui qu’il “détestait”. Il ne saurait en être autrement : ce récit le projetait dans cette époque récente de sa vie où se succédaient les amours (Catherine Garnier dans la vie, qui tenait une boutique de mode non loin du Select, à Montparnasse et qui fut aussi en charge des costumes du film, et Marinka Matuszewski, une infirmière anesthésiste de l’hôpital Laennec, rue de Sèvres, qui fait une brève apparition dans le film, en terrasse du Flore), soit un triangle amoureux qui tient sur quelques rues, “le quartier” comme il est dit dans le film, dont les paramètres se situent entre Montparnasse et St Germain des Près.

Eustache avait ressenti la nécessité de l’écrire, n’ayant pas obtenu l’avance sur recettes dans les proportions espérées pour celui qui devait être son premier long métrage: Mes petites amoureuses. Mais La Maman... est venue s’interposer dans ce programme. Il y avait urgence. Eustache tourne La Maman et la Putain à Paris, en sept semaines, entre début juin et le mois de juillet 1972, exigeant de ses acteurs qu’ils respectent son texte à la lettre. Il ne pouvait en être autrement pour lui : avant d’en revenir à ses souvenirs d’enfance, il lui fallait écrire, faire jouer, donc entendre et voir, le désordre actuel de sa vie amoureuse pour commencer à la comprendre.

La première puissance du film, c’est son caractère écorché, à vif, une histoire éperdue d’amour que seul le cinéma pouvait, éventuellement, consoler. Eustache pensait être capable d’écrire le scénario de La Maman et la Putain en huit jours. Il déclara qu’au bout de ces huit jours, il n’était encore arrivé qu’au terme de la première séquence. En 1973, à sa sortie, La Maman et la Putain fait scandale : le film parle d’amour libre, de triangle amoureux au plus près de la vérité, comme aucun autre ; aborde aussi la question de l’avortement, qui, à l’époque, pose encore problème. Certains s’étranglent devant un texte qu’ils jugent pornographique (oh un tampax! oh une incompressible envie de vomir ! oh une ivresse loquace ! oh des corps nus et des femmes qui parlent de la forme d’une queue !). Aujourd’hui ces raisons peuvent faire sourire, elles restent à prendre avec attention. Car elles disent la volonté pour le cinéaste de ne faire aucune économie de ce qui se joue dans les rapports entre les hommes et les femmes en 1972, au-delà du couple : un homme tout puissant, une jeune fille en admiration devant.Cette idée là en prend pour son grade, La Maman et la Putain est ce film dans lequel aucun cliché, aucune posture ne ressort intact. C’est ce qui continue de le rendre non seulement moderne mais notre contemporain. Il filme des grandes certitudes qui s’effondrent. Dans l’alcool, dans l’amour, dans la parole.

Aujourd’hui La Maman et la Putain ressort. Restauré enfin, et présenté dans sa version intégrale de 1973, incluant une scène coupée par Boris Eustache à partir de la première ressortie de 1982 : Alexandre et Marie vont au cinéma voir un film de Marc O’ de 1968, Les Idoles, dont le montage avait été assuré par Eustache (qui entre 1965 et 1971 a été monteur notamment pour Luc Moullet ou au côté de Jacques Rivette pour Jean Renoir, le Patron). Cette ressortie de La Maman et la Putain n’est que la première étape, la plus emblématique, d’un long travail de restauration de l’intégralité de son œuvre, qui ressortira en salle au fur et à mesure de l’année 2022/2023. Elle sera accompagnée aussi de sorties DVD / Blu-ray et d’un travail critique inédit. Trop longtemps l’œuvre brûlante d’Eustache a été rangée parmi celles des grands maudits. Il était urgent de remontrer ses films, de les rendre scandaleux encore, polémiques toujours, émouvants quoi qu’il en soit, vivants. Il n’y a pas de maman, il n’y a pas de putain, et c’est au présent que ce film continue de vouloir nous le dire.